« Vers une (R)évolution du monde de la santé : Quelles Innovations en Marketing pour le Futur? »
L’industrie pharmaceutique (IP), solide pilier de la santé mondiale depuis des décennies, se trouve actuellement en pleine mutation. Cette transformation n’est pas simplement le fruit des avancées scientifiques, mais elle impacte également le domaine du marketing pharmaceutique, notamment digital, lequel doit se réinventer pour répondre aux nouvelles exigences d’une industrie en constante évolution. Cette 8ème Journée Internationale du Marketing de la Santé sera l’occasion d’explorer les principaux éléments qui contribuent à cette réinvention, tout en examinant les implications sur la chaîne de l’innovation, de fabrication et de distribution du médicament, depuis les acteurs de l’industrie pharmaceutique jusqu’aux patients, en passant par les professionnels de la santé (Crié & Chebat, 2013).
En France, les différentes lois de financement de la sécurité sociale, qui ont fait passer la part du médicament de 15 à 11% dans la CSBM[1] entre 2010 et 2022 et rétrograder de la 3ème à la 5ème place en Europe[2] l’industrie pharmaceutique Française, imposent des contraintes de plus en plus fortes à la fois économiques, politiques et réglementaires et une régulation intense du secteur qui a abouti à une croissance proche de zéro sur les 10 dernières années (2010-2020), en dépit de nombreuses innovations thérapeutiques confrontées à une explosion des coûts et à d’importantes difficultés d’accès au marché (évaluation médico-économique, règles de bon usage, contrats de performance, mesure de l’efficacité en vie réelle…). Ces contraintes ont plusieurs conséquences pour les patients, des pénuries de médicaments de plus en plus fréquentes et nombreuses, une perte de souveraineté sanitaire (une inquiétude pour 85% des Français[3]), une financiarisation de l’IP qui réduit sa recherche au profit du rachat de startups innovantes.
Au cœur de cette ère de transformation, certains piliers, pouvant varier en fonction de la dynamique du marché, des changements réglementaires et des avancées technologiques, comme la recherche génomique, la médecine personnalisée et l’intelligence artificielle, les jumeaux numériques…, émergent comme des forces motrices de cette véritable explosion technologique (Alowais, 2023). Les avancées fulgurantes dans la compréhension du génome humain ont ouvert des horizons inexplorés jusqu’ici : les traitements personnalisés, conçus pour s’adapter à la constitution génétique unique de chaque patient (Daviet et al., 2022), ou antigénique des cellules cancéreuses, qui deviennent une réalité tangible, bien que leur production puisse être reprise par des structures Académiques. Parallèlement, les essais cliniques virtuels, les algorithmes d’intelligence artificielle, capables d’analyser des millions de données en un éclair, révolutionnent le processus de découverte de médicaments (e.g. DeepMind-Alphabet avec AlphaFold ou Qubit Pharmaceuticals en France), ouvrant la voie à des avancées scientifiques majeures et à des économies de coûts substantielles (Finelli and Narasimhan, 2020). Ainsi, la médecine personnalisée ou de précision généralisant le concept de théranostique et l’IA redéfinissent les thérapeutiques de manière plus efficace et ciblée, apportant une valeur inestimable au domaine des soins et également la manière dont les entreprises pharmaceutiques interagissent avec les patients individuellement et non plus par le biais des praticiens ou des associations de malades. Dans la même idée, le marché des dispositifs numériques à usage thérapeutique (DTx) financé par le dispositif PECAN[4] est appelé à une croissance exponentielle dans les années qui viennent, comment se positionne l’IP dans ce domaine ? D’autre part, la blockchain peut améliorer la transparence et la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement, en garantissant l’authenticité et la qualité des produits pharmaceutiques. Cette convergence de la science et de la technologie numérique ne représente pas simplement une avancée, mais plutôt une véritable révolution, tout autant dans le domaine du marketing, marquant une ère nouvelle de possibilités pour l’industrie pharmaceutique.
Toutefois, dans ce nouvel environnement, il est impératif d’adopter une approche éthique (Latham, 2004) et transparente en donnant la priorité au respect des réglementations relatives au marketing et à la communication, notamment en ce qui concerne la confidentialité des données et les exigences en matière de divulgation (ex. les entreprises de la FemTech qui partagent leurs données avec des «tierces parties» à l’insu des usagères – Vidal, 2023), la transparence en matière de publicité, afin d’établir des liens émotionnels avec les patients pour maintenir la confiance et la crédibilité, démontrant que l’industrie pharmaceutique partage leur quête d’un avenir plus sain.
La pandémie de COVID-19 a remodelé le paysage de la santé, en offrant des opportunités dans le domaine de la télémédecine et plus généralement de la télésanté (Arenas & Ramírez, 2023). Ces technologies, propulsées par l’urgence de la distanciation sociale, réduisent radicalement les barrières géographiques, offrant potentiellement un accès aux soins dans les régions les plus isolées. Dans cet environnement en constante évolution, les entreprises de santé et les acteurs de terrain sont appelées à jouer un rôle essentiel en développant des solutions novatrices pour faciliter la télémédecine, la télésanté et le « remote monitoring ». En adoptant une stratégie marketing adéquate, elles peuvent non seulement offrir un meilleur accès aux soins de santé, à leur suivi (e.g. Voluntis[5] associé à Sanofi, Roche, AstraZeneca ou Qualcomm à Roche, Novartis) et à la prévention, mais aussi renforcer leur réputation et leur engagement envers la santé des populations.
Dans ce cadre, l’industrie pharmaceutique doit continuer à adopter les technologies numériques pour le marketing et la communication (Furtner et al., 2022). Il s’agit notamment de tirer parti des plateformes de médias sociaux, des applications mobiles et d’autres canaux numériques pour atteindre les patients (Reeck et al., 2023), les professionnels de la santé et d’autres parties prenantes et s’engager auprès d’eux (Autelitano et al., 2018). Collaborer avec des personnes influentes, telles que des professionnels de la santé, des défenseurs des patients ou des influenceurs des médias sociaux, peut aider les entreprises pharmaceutiques à accroître la notoriété de leur marque, mais surtout à éduquer le public et renforcer les perceptions des comportements néfastes à leur santé (Kapoor, 2019). Digimind[6] (2022) montre que sur 55 laboratoires pharmaceutiques et biotech internationaux étudiés, 100% sont présents sur YouTube, 88% sur Instagram mais moins de 20% sur TikTok.
Grâce à la disponibilité croissante des données sur les patients et aux progrès de l’analyse permettant de comprendre le comportement des clients et les tendances du marché, les entreprises pharmaceutiques peuvent créer des campagnes de marketing personnalisées. En adaptant les messages et le contenu à des segments de patients spécifiques ou même à des individus en matière de prévention, les entreprises peuvent améliorer la pertinence, l’engagement et les résultats pour les patients (Weihrauch & Huang, 2021). Les soins de santé sont de plus en plus axés sur le patient, et les entreprises pharmaceutiques doivent aligner leurs stratégies marketing en conséquence. Il s’agit de comprendre les besoins, les préférences et les expériences des patients afin d’élaborer des campagnes de marketing qui privilégient le bien-être, l’éducation et l’autonomisation (empowerment) des patients. Dans cette logique, l’industrie pharmaceutique pourrait investir davantage dans la création d’un marketing de contenu et d’éducation en diffusant des contenus informatifs de haute qualité pour éduquer les patients (Stellefson et al. 2014) et les professionnels de la santé notamment par des interactions virtuelles, webinaires, forums en ligne, podcasts…etc… (Setia et al., 2018).reprenant ainsi le flambeau du « disease management » dans une pratique la plus orthodoxe possible.
Les entreprises pharmaceutiques s’appuieront de plus en plus sur l’analyse des données pour mieux comprendre les tendances du marché et les performances des campagnes en relation avec les besoins et désirs des patients et des professionnels de la santé (Wild, 2021). En tirant parti du big data et de l’analyse avancée, les entreprises peuvent affiner leurs stratégies marketing, cibler plus efficacement leurs publics et optimiser l’allocation de leurs ressources. Les patients seront les grands bénéficiaires de cette transformation, avec un accès amélioré aux soins de santé et des coûts à long terme potentiellement réduits.
Dans cette ère de transformation et des stratégies dites “beyond-the-pill” (au-delà du seul traitement médicamenteux), les entreprises pharmaceutiques ne se bornent plus à développer des médicaments, elles explorent de nouvelles opportunités en établissant des partenariats stratégiques avec des entreprises de technologie innovantes, comme au sein de l’alliance eHealth France[7]. Vers un marketing de service ou un total nouveau business model, médicament plus service d’e-santé? Ces alliances permettent aux entreprises pharmaceutiques de bénéficier de l’expertise technologique, tout en offrant à leurs partenaires un accès aux ressources et à l’expertise en matière de santé. C’est le cas par exemple d’Astra-Zeneca qui s’associe en juin 2021, avec Docaposte et Impact Healthcare pour créer Agoria Santé afin de développer l’analyse des données de santé en temps réel, Docaposte qui, par ailleurs, acquiert, en Février 2023, Maincare éditeur de logiciels de santé leader de la transformation numérique des hôpitaux. D’autres partenariats éclosent comme la création de “labs” d’innovation collaborative, par exemple LEO Innovation Lab qui travaille au développement de solutions non pharmaceutiques afin d’améliorer le quotidien des patients souffrant de psoriasis ou le laboratoire Servier, engagé dans une dynamique d’innovation ouverte et collaborative pour proposer des traitements qui améliorent significativement la qualité de vie des patients, ou encore l’acquisition par Roche de la plate-forme de gestion du diabète MySugr.
Ces stratégies «beyond-the-pill» sont ainsi multiples et protéiformes. Elles investissent les réseaux sociaux (Costa, Borges-Tiago, Tiago, 2018), le développement de dispositifs médicaux connectés, le suivi et la coordination des parcours de santé, les conseils thérapeutiques et de prévention, les services digitaux peer to peer, s’engagent à réduire l’asymétrie d’information spécifique à la relation médecin-patient afin d’accroitre leur empowerment, bref, une infinité d’offres de services apparaissent dans les stratégies des industriels du médicament ces dernières années afin d’accompagner au mieux les patients, notamment chroniques, en les éduquant et stimulant leurs comportements de prévention (près d’un tiers des Français a déjà parlé de sa santé sur le Web, donc à minima 15 millions, soit une source d’information infinie, Odoxa[8], 2018). La réalité virtuelle, réalité augmentée ou la réalité mixte, tout comme les dispositifs à commande vocale et les assistants virtuels, l’intégration des applications de santé et des wearables, les chatbots alimentés par l’IA peuvent être utilisés pour présenter certains produits, simuler l’expérience des patients (Puntoni, et al., 2021) ou offrir une formation virtuelle aux professionnels de santé. Les techniques de gamification et les assistants virtuels peuvent également être utilisés pour impliquer les patients et les professionnels dans les meilleures pratiques de soin et de prévention. Cela rend compte d’une volonté d’affirmation de leur proposition de valeur offerte tant envers les patients que de leurs multiples stakeholders essentiels ou périphériques, afin notamment de restaurer une confiance sérieusement entamée par plusieurs scandales sanitaires toujours présents dans nos esprits, mais aussi d’affirmer leur position vis-à-vis des entrants potentiels comme les GAFAMS[9].
Cette position sur les réseaux sociaux, entre en conflit avec l’explosion, non a priori souhaitée, de consommation off label ou hors AMM[10] de médicaments, comme actuellement l’Ozempic, puis le Wegovy et le Mounjaro lancé en 2022, antidiabétiques pour traiter l’obésité, avec des circuits de promotion parallèles par ces mêmes réseaux sociaux….en dehors de l’Industrie Pharmaceutique…. Que faire…ou ne pas faire en matière de communication, sachant que la part de fake news et de désinformation atteint 25% sur les réseaux sociaux et les chaines Youtube ou autres sites d’information ou communautaires (Digimind, 2022)?
Dans le cadre de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et le respect des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG), devenant de plus en plus importants pour les consommateurs, les entreprises pharmaceutiques peuvent mettre en avant des pratiques de fabrication respectueuses de l’environnement, soutenir des initiatives communautaires ou promouvoir un accès équitable aux soins de santé. Transition écologique oblige, la «décarbonation» est devenue un objectif fondamental dans la fabrication et les échanges des produits de santé.
Plus généralement, à l’heure de la décabornation des systèmes de santé et de l’émergence des préoccupations en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans le secteur pharmaceutique et médical, le concept One Health revêt une importance cruciale. En intégrant les dimensions humaines, animales, et environnementales, cette approche holistique offre une réponse adéquate aux défis complexes de la santé publique. Elle favorise une collaboration interdisciplinaire, permettant ainsi de mieux anticiper et gérer les risques émergents, tout en favorisant des pratiques durables et socialement responsables. Le déploiement du concept One Health constitue ainsi un impératif stratégique pour les entreprises, assurant une vision globale et éthique dans la recherche, la production, et la mise sur le marché des produits médicaux ou les achats écologiquement responsables du Resah (Réseau des acheteurs hospitaliers) dans son schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser).
Références:
[1] Consommation des Soins et Biens Médicaux
[2] Poids de la régulation de l’industrie de santé et contribution du G5 santé à l’économie en 2022, BDO Advisory (anciennement « Le Bipe »)
[3] Observatoire Biogaran de la santé au quotidien – Enquête Ifop –Janvier 2022
[4] Prise En Charge Anticipée des dispositifs médicaux Numériques, https://gnius.esante.gouv.fr/fr/a-la-une/actualites/lancement-de-la-prise-en-charge-anticipee-des-dispositifs-medicaux-numeriques
[5] E-santé: les alliances entre industries pharmaceutiques et sociétés IT boostent le marché, (2016), TICsanté
[6] Digimind, (202 Voix des patients et entreprises pharmaceutiques sur les réseaux sociaux
[8] “Les Français et les données de santé sur Internet et les Réseaux sociaux”, Odoxa (2018), Heathcare Data Institute.
[9] Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Samsung
[10] Autorisation de Mise sur le Marché
Objectifs de la 8ème JIMS
La 8ème Journée Internationale du Marketing de la Santé se doit d’occuper une place centrale en cette période de réinvention profonde de l’industrie pharmaceutique. Son principal objet réside dans l’exploration des progrès technologiques, des percées médicales et des révolutions en biotechnologies et en digital qui transforment radicalement l’ergonomie des soins de santé. Ceci met alors en exergue la nécessité de repenser le marketing pharmaceutique, favorisant ainsi l’adoption d’approches éthiques, transparentes, et orientées vers les besoins des patients ou des professionnels de santé. De plus, elle encourage les réflexions sur les alliances stratégiques avec des entreprises technologiques innovantes. Cette journée se positionne comme une journée d’échanges scientifiques sur les défis et les opportunités inhérents au marketing, tout en soulignant l’impératif de placer les patients et les professionnels de la santé au centre de cette métamorphose pour améliorer l’accessibilité aux soins de demain.
La révolution de l’Industrie Pharmaceutique constitue la thématique focale de cette session JIMS, qui reste naturellement ouverte, comme à l’accoutumée, aux autres grandes thématiques du marketing de la santé.